Il est rentré entier, vivant, sain et sauf, pourtant j'ai le douloureux sentiment d'avoir perdu ce garçon attentionné, doux, sensible et patient à plus de cinq milles kilomètres de moi.

Alors oui, il est à la maison, mais une partie de lui est restée là-bas, en zone de guerre. Je ne pourrais jamais imaginer, et encore moins comprendre ce qu'il a vécu et ressentit ; aucun homme n'est préparé à endurer ce genre d’événement. Comme beaucoup d'autres avant lui, il est revenu en France traumatisé et totalement différent. Il est passé par plusieurs phases avant d'accepter le diagnostic. La fierté fût la première phase ; fier d'avoir participé à cette guerre dont tous les médias ne cessaient de parler. Je le revois encore, tout sourire à me montrer les photos faites pendant ces quatre mois ; rire devant cette vidéo dans laquelle lui et ses camarades se font caillasser par des hostiles ; comment pouvait-il plaisanter face à ça. Comment pouvait-il parler aussi sereinement de ces nuits où ils entendaient tous le bruit des tirs au-dessus de leur tête ? Reconnu et médaillé pour les actions qu'il avait faites au combat mais dont il refusait de parler. La récompense par les médailles, les cérémonies et les éloges n'ont fait que reculer l'inévitable.
Je ne pourrais jamais ôter ce souvenir de lui, recroqueville sur lui-même à l'arrière de la voiture, effrayé par les détonations du feu d'artifice ; des détonations qui ont replongé mon homme en zone hostile. C'est là que les nuits mouvementées ont commencées. Plongé dans l'obscurité, il était incapable de trouver le sommeil hanté par les bruits sourds qui l'empêchait de s'endormir quand il était là-bas.. Même de retour à la maison, il restait sur ses gardes, prêt à réagir. Quand enfin il parvenait à fermer les yeux, il était assaillit de souvenirs glaçants, des cauchemars dont, comme le reste, il ne voulait parler. Pendant de longues semaines, je regardais cet homme à mes côtés s'épuiser petit à petit par peur de dormir, par peur d'être submergé.
Vient le moment que j'appelle le déni. Il était évident que le traumatisme de ce qu'il avait vécu referait surface, pourtant, avec le quotidien qui reprenait son cours, personne ne voyait surgir cet immense iceberg. Personne et encore moins lui ; à ses yeux, tout était normal, il était irritable mais c'était sans rapport aucun avec son opération. Pourtant je voyais bien ce qu'il se tramait ; j'étais la spectatrice et quelque peu la victime de ses colères à répétitions. Il devenait de plus en plus incontrôlable et jamais il n'avait agit de cette façon auparavant. Sanguin et impatient ; à la moindre petite contrariété, tout finissait par prendre des proportions qui dépassaient l'entendement. Malgré tout ça il ne voyait toujours rien et lorsque j'essayais d'aborder le sujet si tabou, une nouvelle dispute éclatait sans que je puisse avoir le temps de m'expliquer ; je faisais face à un mur.
Alors peut-être tentait-il d'éviter un sujet sensible ? Peut-être n'était-il pas prêt à accepter son état psychologique ? Peut-être qu'à ses yeux se dire touché et changé par son opération était un signe de faiblesse ? Peut-être voulait-il nier l'évidence jusqu'au bout ? Je n'ai toujours pas la réponse à toutes mes interrogations ; tout ce que je suis en mesure de dire et d'écrire avec certitude ce sont les sentiments que je ressentais à chaque instant de ce quotidien si lourd de conséquences.
Les petits détails de notre vie de couple disparaissaient peu à peu sans que je ne sois en mesure de lui en parler. Je me voyais déjà rebroussé chemin, tirer un trait sur une nouvelle page de ma vie et devoir, à nouveau, tout recommencé. Mais je ne voulais personne d'autre que lui, alors je me suis promis de rester, quoi qu'il en coûte. Malgré tout ce que cela m'aura coûté, je suis toujours là et ce même si les choses n'ont pas réellement changées, ni en pire, ni en mieux. Il est toujours le même qu'à son retour, mais plus celui qu'il était avant son départ. La complicité que nous avions me manque. La proximité de notre couple me manque. Sa douceur, sa patience et ses petites attentions à mon égard me manquent. Ce ne sont que des détails, pourtant j'en ai besoin. Aujourd'hui je m'accroche désespérément à cet espoir de retrouver une relation fusionnelle. Je me sens comme perdue au milieu de l'océan sans réellement savoir quoi faire ; je sais pertinemment qu'il n'est pas devenu comme ça par plaisir, et je sais tout autant que rien ne sera plus comme avant. Il n'y a pas de marche arrière. Pourtant je ne cesse de me dire que je n'ai jamais rien signé, alors qu'est-ce qui m'oblige à rester dans ces conditions ?
Mais par amour, nous sommes capable de tout.

Je le suis.

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